Les Onze mille verges ou les Amours d'un hospodar by Guillaume Apollinaire

Les Onze mille verges ou les Amours d'un hospodar by Guillaume Apollinaire

Auteur:Guillaume Apollinaire [Apollinaire, Guillaume]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction, Érotique, Littérature
Éditeur: Feedbooks
Publié: 1907-01-26T05:00:00+00:00


Chapitre 6

Le siège de Port-Arthur était commencé. Mony et son ordonnance Cornaboeux y étaient enfermés avec les troupes du brave Stoessel.

Pendant que les Japonais essayaient de forcer l’enceinte fortifiée de fils de fer, les défenseurs de la place se consolaient des canonnades qui menaçaient de les tuer à chaque instant, en fréquentant assidûment les cafés chantants et les bordels qui étaient restés ouverts.

Ce soir-là, Mony avait copieusement dîné en compagnie de Cornaboeux et de quelques journalistes. On avait mangé un excellent filet de cheval, des poissons pêchés dans le port et des conserves d’ananas ; le tout arrosé d’excellent vin de Champagne.

À vrai dire, le dessert avait été interrompu par l’arrivée inopinée d’un obus qui éclata, détruisant une partie du restaurant et tuant quelques-uns des convives. Mony était tout guilleret de cette aventure, il avait, avec sang-froid, allumé son cigare à la nappe qui avait pris feu. Il s’en allait avec Cornaboeux vers un café-concert.

Ce sacré général Kokodryoff, dit-il en chemin, était un stratège remarquable sans doute, il avait deviné le siège de Port-Arthur et vraisemblablement m’y a fait envoyer pour se venger de ce que j’avais surpris ses relations incestueuses avec son fils. De même qu’Ovide j’exprime le crime de mes yeux, mais je n’écrirai ni les Tristes ni les Pontiques. Je préfère jouir du temps qui me reste à vivre.

Quelques boulets de canon passèrent en sifflant au dessus de leur tête, ils enjambèrent une femme qui gisait coupée en deux par un boulet et arrivèrent ainsi devant Les Délices du Petit Père.

C’était le beuglant chic de Port-Arthur. Ils entrèrent. La salle était pleine de fumée. Une chanteuse allemande, rousse, et de chairs débordantes, chantait avec un fort accent berlinois, applaudie frénétiquement par ceux des spectateurs qui comprenaient l’allemand. Ensuite quatre girls anglaises, des sisters quelconques, vinrent danser un pas de gigue, compliqué de cake-walk et de matchiche. C’étaient de fort jolies filles. Elles relevaient haut leurs jupes froufroutantes pour montrer un pantalon garni de fanfreluches, mais heureusement le pantalon était fendu et l’on pouvait apercevoir parfois leurs grosses fesses encadrées par la batiste du pantalon, ou les poils qui estompaient la blancheur de leur ventre. Quand elles levaient la jambe, leurs cons s’ouvraient tout moussus. Elles chantaient :

My cosey corner girl

et furent plus applaudies que la ridicule fräulein qui les avait précédées.

Des officiers russes, probablement trop pauvres pour se payer des femmes, se branlaient consciencieusement en contemplant les yeux dilatés ce spectacle paradisiaque au sens mahométan.

De temps en temps, un puissant jet de foutre jaillissait d’un de ces vits pour aller s’aplatir sur un uniforme voisin ou même dans une barbe.

Après les girls, l’orchestre attaqua une marche bruyante et le numéro sensationnel se présenta sur la scène. Il était composé d’une Espagnole et d’un Espagnol. Leurs costumes toréadoresques produisirent une vive impression sur les spectateurs qui entonnèrent un Bojé tsaria Krany de circonstance.

L’Espagnole était une superbe fille convenablement disloquée. Des yeux de jais brillaient dans sa face pâle d’un ovale parfait. Ses hanches étaient faites au tour et les paillettes de son vêtement éblouissaient.



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